Thierry Pélicant,
Une pipe. Du tabac gris. Un Calva de sa Normandie natale, un Armagnac. Hors d'âge de préférence. Humer. Sentir. Goûter. Des mets à cuisiner, à peaufiner, avant de les mettre en bouche. Et la musique. Celle qui s'impose comme une nécessité, sans que l'on y réfléchisse, sans qu'on la choisisse, mais qui est la seule chose concrète et réelle sur laquelle construire une vie. Celle qui emplit un esprit et le porte toujours plus haut. Et les autres. Le goût des autres. Épicurien ? Sans aucun doute, Thierry Pélicant l'est. Avec sa recherche du bonheur constant, presque hors du temps. Pour lui et pour les autres. Avec exigence. Avec empathie. Avec discipline aussi. « Je veux croire à la possibilité de la construction du bonheur. Le bonheur est une discipline. »
Et c'est ainsi qu'il envisage la direction d'un orchestre. Ainsi aussi qu'il compose. Pour les musiciens, pour le public, et pour lui, dans cette quête du bonheur à construire.
Le chef d'orchestre qui « ne sait diriger que les gens qu'il aime »
Le jeune organiste qu'il est se voit proposer par un ami la direction d'un petit orchestre. Il a 18 ans et se jette à l'eau. « Il a fallu me rendre à l'évidence : j'avais besoin de prendre des cours ! », explique-t-il dans un éclat de rire. Ce qu'il fait. Et rapidement, il rencontre son maître en la personne de Jean-Claude Hartemann, directeur de la musique de l'Opéra Comique. « Je suis resté quinze ans avec lui. La direction d'orchestre ne s'apprend pas, elle se fait par imprégnation et j'ai eu la chance d'avoir ce maître qui avait une telle carrière à transmettre. Je lui dois tout ce que j'ai de bon. »
Thierry Pélicant se trouve alors « happé » par la musique, presque malgré lui. Sans coup de foudre, mais sans pouvoir y échapper. « La musique s'est imposée à moi. Je n'avais pas envisagé d'en faire mon métier, mais elle s'est imposée comme une nécessité. Le droit que j'étudiais m'a paru moins concret et réel que la musique. Je me suis dit : bon, je vais faire de la musique, mais comme je le veux, qu'avec des gens que j'aime. De toute façon, je ne peux diriger que les gens que j'aime. » Autrement dit, sans plan de carrière, des termes incompréhensibles pour Thierry Pélicant.
En 1976, il prend la direction de l'orchestre de Montivilliers, en Haute-Normandie, qui est aujourd'hui devenu un acteur de la vie culturelle de Haute-Normandie sous le nom de l'Orchestre André Messager.
En 1980, Thierry Pélicant arrive comme chef d'orchestre à la Société Philharmonique de Beauvais. Sa première répétition, il s'en souvient « comme si c'était hier » : « J'ai été frappé par la valeur humaine de ce noyau d'une dizaine de musiciens. Ils ne jouaient pas mal du tout et ils étaient capables de faire confiance à un jeune type sans aucune expérience ! J'ai une reconnaissance infinie pour eux, qui me touche encore aujourd'hui. » Il est également frappé par l'énergie et le militantisme du bureau de cet orchestre. « Ils avaient pleinement conscience de faire grandir cette institution vieille de 200 ans. Cela leur donnait une énergie folle. Les répétitions ne se passaient jamais à “la bonne franquette”, pour se faire plaisir. Nous étions là pour travailler et progresser. Tout le monde à l'heure et prêt. »
Et c'est toujours le cas aujourd'hui. Si la répétition débute à 10 heures, les musiciens sont prêts à donner la première mesure à cette heure précise. Thierry Pélicant endosse alors sa responsabilité de chef d'orchestre avec le sourire. Il laisse filer une première interprétation, prend la température, sent l'ensemble. Et revient sur un passage. Utilise une métaphore imagée. Met l'orchestre à l'aise. Et reprend. Et reprend encore. Avec exigence. Encore. Et puis il glisse à une autre partie, car il sait parfaitement jusqu'où il peut aller avec ces musiciens qu'il connaît si bien. La chemise est trempée, la concentration palpable. Plus rien n'existe que la musique. L'homme et l'orchestre ne font plus qu'un.
Thierry Pélicant, compositeur
Il a écrit principalement des pièces concertantes (concerto pour orgue, pour hautbois, pour basson, pour cuivres, Rhapsodie pour violon, concerto pour contrebasse), des Symphonies, dont la troisième, “Sérénade”, était une commande du Festival de Nyons.
Un opéra bouffe, Elise et le fantôme et un opéra inachevé, Ribouldingue ou La Parturition des Pieds Nickelés.
Avec le poète Luis Porquet, il a composé un cycle de mélodies pour soprano, harpe et orchestre, Ombre Légère, et un oratorio de Noël - Et de toi, Bethleem, pour baryton, harpe, chœur et orchestre.
Quelques pièces de musique de chambre sont à son catalogue, dont un septuor, Milonga, commande du festival de Giverny en 2012, des musiques de scène et, en 2011, avec le compositeur Dominique Preschez, Escales & paysages, qui fut créé Salle Gaveau avec le pianiste Raphaël Drouin.
Pour l'Orchestre de l'Oise, il a composé une Suite pour "Le concert" qui fut créée au Conseil Général de l'Oise en 2012. Il mène, toujours avec Luis Porquet, l'écriture de "14", une grande fresque commémorant la Grande Guerre et qui sera créée avec le ténor Daniel Gàlvez-Vallejo et l'Orchestre de l'Oise en juin 2014. Toujours en 2014, seront créés un opéra - Histoires comme ça - sur un livret d'Yves Lecordier et Olivier Morançais ainsi qu'une suite pour violoncelle et cordes pour accompagner des films de Georges Méliès.
Le compositeur a « la nécessité absolue » de composer
« La composition, c'est un besoin, une nécessité absolue pour moi. La nécessité de me libérer de quelque chose. » Sa première « œuvre », le compositeur Thierry Pélicant l'écrit alors qu'il est encore lycéen. « C'était une messe pour la fête de l'école », se souvient-il. Puis, il écrit pour les mariages de ses amis. « Mais j'étais un peu bridé, car je croyais que le langage institutionnel de la musique contemporaine n'était pas le mien. » Mais un jour, Thierry Pélicant a le déclic : « J'écris comme j'ai envie. Ce n'est pas grave. Mon écriture a un langage tonal, le plus accessible au public, pas du tout contemporain, mais je suis sincère. » Écrivant par nécessité et non par envie, il se débarrasse des modes et des querelles esthétiques pour ne retenir que l'exigence et la sincérité qu'il perçoit comme des « obligations morales ». Et comme un pied de nez à ces querelles, il lance : « De toute façon, je suis un compositeur contemporain puisque je suis vivant. »
Aujourd'hui, Thierry Pélicant est l'auteur de plus de 70 pièces dont la Suite interprétée le1er décembre à l'occasion des 25 ans de l'Orchestre Philharmonique de l'Oise. « Quand j'écris pour cet orchestre, je vois les musiciens jouer plus que je ne les entends. J'écris pour chacun d'eux, chaque partie est pour chaque musicien. C'est une écriture affectueuse. » Avec une seule ambition : « Faire plaisir ». « Je veux que les gens prennent du bonheur. C'est mon rôle essentiel : donner un peu de bonheur aux musiciens et au public. Ne pas les ennuyer. C'est très prétentieux de prendre le risque d'ennuyer. » Et l'on en revient à la philosophie de l'homme Thierry Pélicant, celle de « construire le bonheur avec discipline et exigence ». Cette philosophie lui a, semble-t-il, porté chance puisqu'il convient : « J'ai toujours eu la chance d'être soutenu, entouré. J'ai des amis chefs d'orchestre qui ont lutté pour mener cette carrière et moi, non, tout se passe comme si c'était normal. »